Sans les investisseurs privés, propriétaires de quelque 6,5 millions de logements, la situation des ménages français ne serait pas ce qu’elle est. Certes, ils peuvent acheter, mais tous n’en ont pas les moyens, singulièrement dans les zones denses, grandes villes et leurs agglomérations : là, les prix sont commandés par la règle de l’offre insuffisante et de la demande soutenue et acquérir coûte cher. Certes, en théorie, 60% des familles et des individus sont éligibles à un logement HLM, mais en pratique le parc public compte moins de 5 millions d’unités, avec un taux de rotation de 5% à Paris et de 10% en province, le rendant inaccessible à beaucoup de candidats. La France a ainsi apporté depuis l’après-guerre une réponse que beaucoup de pays lui envient : une offre locative privée, nombreuse et de bonne qualité. Au total, chaque année, entre 1,8 et 2 millions de locations nouvelles se concluent entre des propriétaires bailleurs et des locataires.

 

On comprend pourquoi l’État veille sur ce marché, essentiel pour l’équilibre social de la population. C’est en effet de loin la solution la plus forte aux besoins en logement de nos compatriotes. Qui plus est, le statut de locataire est le plus adapté à beaucoup de cas. Les plus jeunes, pas encore stabilisés aux plans professionnel et personnel, les travailleurs en mobilité, les conjoints fraîchement séparés, mais aussi ceux qui ont besoin de grands appartements familiaux inabordables à l’achat, tous ceux-là ne trouveraient pas de logement sans le parc locatif privé.

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Quels sont les enjeux pour ce parc et tous relèvent-ils des pouvoirs publics, qui ont une tendance fâcheuse et ancienne à se mêler de ce qui ne les regarde pas ? Parlons d’abord de ce qui est du ressort des professionnels, agents immobiliers et administrateurs de biens. Contre toute attente, malgré les enjeux, ils ne tiennent pas bien leur marché: un tiers seulement du parc privé est géré par des intermédiaires. Ce point est majeur : les deux tiers restants sont administrés directement par les particuliers, qui fixent le niveau du loyer avec une connaissance approximative des valeurs en cours, qui sont souvent insuffisamment scrupuleux sur l’entretien et la rénovation, ou encore qui malmènent les droits du locataire en matière d’information sur le bien ou de restitution du dépôt de garantie obligatoire. Les agents immobiliers et les gestionnaires professionnels ont du mal à convaincre les propriétaires de leur confier leur bien, et à démontrer qu’ils savent le valoriser et l’exploiter avec un plus grand bénéfice.

Dans les cabinets immobiliers, l’acte de louer est encore fréquemment le parent pauvre entre toutes les activités. Le locataire y est souvent un client peu considéré. La gestion des logements de rapport, pour parler comme au 19e siècle, s’y limite justement à ça : l’encaissement des loyers. La gestion des copropriétés ou la vente y jouissent de plus de considération. Certains prennent le contre-pied de cette négligence et placent la location et la gestion des logements locatifs au centre de leur stratégie de développement. Cytia, troisième acteur français derrière le leader, FONCIA, et au coude à coude avec Nexity, deuxième, vient de tenir sa convention nationale de tous les négociateurs en location, avec l’objectif central d’améliorer la relation client...c’est-à-dire avec les deux parties prenantes, le locataire et le bailleur à parité. Les mandataires ont fini par oublier que s’ils ont un mandant ils ont bel et bien deux clients, et que le contrat ne récapitule pas les gestes à accomplir pour eux. Le groupe d’origine tourangelle se veut exemplaire dans la qualité de services aux locataires, avec des constats d’état des lieux et l’évaluation des réparations locatives délégués à une société spécialisée, qui établit aussi les diagnostics techniques obligatoires. Cet administrateur de biens permet également le paiement dématérialisé du loyer et offrira sous peu la signature électronique du bail dans toutes ses agences. Ces pratiques inspirent d’ailleurs désormais nombre d’enseignes de gestion immobilière, groupes ou entreprises artisanales et familiales. Bref, la location est enfin regardée autrement par une proportion croissante d’agents immobiliers et d’administrateurs de biens.

L’État de son côté s’intéresse de près au marché du logement...et parfois même de très près, jusqu’à vouloir le réguler. Ainsi, on ne sait ce qu’il adviendra de l’encadrement des loyers, auquel le gouvernement ne semble pas vouloir renoncer malgré les jugements sévères des tribunaux administratifs de Paris et de Lille… et surtout alors que les loyers sont orientés à la baisse depuis quatre ans. On sait avec certitude en revanche que le futur projet de loi ELAN créera un nouveau bail, adapté aux salariés en mobilité, d’une durée de un à dix mois, qui ne soulève l’enthousiasme ni des professionnels ni des associations de locataires : ce contrat est soupçonné de fragiliser les relations locatives. Et pourquoi un contrat de plus? Il existe déjà une durée de préavis réduite à un mois en zone tendue et dans plusieurs situations en zone non tendue, qu’il serait loisible de compléter pour assouplir encore le bail existant. En revanche, l’État a raison de permettre la digitalisation du bail, qui va fluidifier les signatures et en alléger le coût.

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Et puis une vieille lune ressort : attribuer à la Caisse des dépôts et consignations la mission de séquestrer les dépôts de garantie des locataires et de les rendre en sortie de location. Pas recevable : quand l’État cessera-t-il de se substituer aux acteurs professionnels alors même qu’il n’y a pas carence de l’initiative privée ? Oui, il faut que la commission de discipline prévue par la loi ALUR voie le jour afin de sanctionner les gestionnaires dont les pratiques manquent de rigueur. Oui, il faut que les propriétaires indélicats qui ne restituent pas dans les temps le dépôt de garantie ou qui les amputent de sommes injustifiées réparent leurs préjudices. Mais pour une proportion réduite de dysfonctionnements, faut-il bâtir une usine à gaz, qui emploiera sans doute des centaines de fonctionnaires, plus utiles à d’autres tâches?

Il est temps que les pouvoirs publics ajustent leur rôle dans le marché des locations résidentielles. Qu’ils privilégient le contrôle a priori et a posteriori à l’alourdissement des obligations et à l’interventionnisme. Et que les professionnels deviennent de vrais garants de l’équilibre des relations locatives et de la qualité des biens offerts. À ces conditions, le statut de locataire en France sera indiscutablement heureux.