LOGEMENT : ASSEZ DES LOIS INAPPLICABLES OU SANS CESSE REPOUSSÉES !
Taxation des plus-values, permis de louer, moralisation des APL… Ces dernières années, les gouvernements successifs ont repoussé les décisions urgentes ou fait voter des textes inapplicables. Il est temps que ça change estime Henry Buzy-Cazaux, président de l'Institut du Management des Services Immobiliers
La France a élu un Président de la République et une majorité parlementaire qu'elle a cru capables de changer les pratiques politiques. Le besoin s'en fait sentir partout, dans tous les secteurs d'activité. Il est ressenti par toutes les catégories de population. Le domaine du logement n'échappe pas à cette attente. Les dernières années, quels qu'aient été la qualité des décideurs publics, leur engagement, leurs convictions, nous ont donné le spectacle de deux défauts majeurs, à corriger d'urgence, le retard et l'irréalisme. On s'est collectivement accommodé des deux, peut-être non sans perversité.
Oui, car le pays veut mais ne veut pas. Une loi qu'on n'applique que partiellement faute de décrets? La bonne conscience est satisfaite par le texte législatif et on n'a pas à subir sa mise en œuvre, contraignante. Une mesure qui n'est pas applicable? L'honneur de ses auteurs, toujours bien intentionnés, est sauf et ils s'épargneront les quolibets de ceux qui y étaient opposés, puisqu'elle ne verra pas le jour. Tout le monde est content. Ce simulacre de gouvernance, ces faux-semblants sont d'un autre âge. Qui s'en accommoderait dans l'entreprise, dans la vie tout court? A n'en pas douter, le nouveau personnel politique veut changer tout cela. Dans les domaines à plus forts enjeux, le travail, l'éducation, la santé, le logement, la sécurité, la France n'avancera pas en acceptant ce que les amateurs de rallye appelleraient une perte de motricité: en clair, la puissance est disponible sous le capot, mais pour des raisons diverses elle ne passe pas dans les roues et ne produit pas les effets escomptés.
Voici quatre illustrations de ces deux travers, la procrastination et l'hybris, deux termes savants pour parler avec pudeur de ces deux faiblesses aussi basses qu'impardonnables.
D'abord, une mesure majeure de la loi ALUR du 24 mars 2017, relative à l'encadrement des agents immobiliers et des administrateurs de biens: le projet, écrit noir sur blanc dans la loi, d'une instance de discipline. Dans un premier temps, les pouvoirs publics mettent en place un Conseil national de la transaction et de la gestion immobilières sans pouvoir disciplinaire, mais édictent un code de déontologie qui annonçait la mise en place d'une commission de contrôle. Jamais installée. La déontologie est donc opposable, mais pas opposée à quelque contrevenant que ce soit. On finit par refondre en retouchant la loi de 2014 les instances de pilotage des professions immobilières, en créant un organe unique, chargé d'éclairer le gouvernement sur les évolutions réglementaires souhaitables et de faire la police, avec des pouvoirs de sanction d'ailleurs précisés par la loi ALUR dès l'origine. Tenez-vous bien: il est prévu que cette commission de discipline soit installée en juillet 2018. Quatre ans pour porter la coupe aux lèvres ! Une honte.
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Un autre exemple, celui-là lourdement préjudiciable à l'activité de production de logements dans notre pays: la réforme de la taxation des plus-values de cession des terrains à bâtir. Aujourd'hui, ce régime est commun aux immeubles et au foncier. La logique est simple: plus vous gardez longtemps un bien, moins vous êtes imposable sur la plus-value externalisée au moment de sa cession, jusqu'à être exonéré au-delà de trente ans de détention. Si ce principe est vertueux pour les logements construits, en particulier destinés à être loués, il est aujourd'hui intolérable pour les terrains à construire: la France accuse un déficit considérable d'offre résidentielle et il faut construire à marches forcées. Pour cela les promoteurs privés comme les opérateurs publics ont besoin de matière première, à des prix abordables. La fiscalité encourage à l'inverse les propriétaires fonciers à garder et à spéculer. On dénonce ce problème depuis Benoist Apparu, ministre du logement de François Fillon, sous la présidence de Nicolas Sarkozy. On a tenté de modifier cela dans plusieurs lois de finances successives, en vain, semble- t-il au nom de la rupture d'égalité entre les propriétaires de bâti et les propriétaires de non bâti. Se peut-il qu'au pays qui a inventé le code civil de beaux esprits n'aient pas trouvé la solution au bout de treize ans? C'est long, treize ans, pour les ménages qui cherchent un logement. Très long.
Bref, le temps politique n'est pas celui de la vraie vie et cela doit changer radicalement. Transposez cela dans l'univers médical et vous comprendrez: le chirurgien a diagnostiqué, il y pense fort, mais quatre ans, dix ans, treize ans après, vous n'avez toujours pas été opéré. Peut-être êtes vous mort entretemps, ce qui résout la question. On se rappelle le Petit Père Queuille, vingt-quatre fois ministre des IIIe et IVe Républiques, qui nous enseignait qu'il n'est de problème qu'une absence durable de solution ne saurait résoudre.
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Et puis il y a les mesures inapplicables, qu'on sait inapplicables, et qu'on vote. L'espoir naît dans l'opinion et il est déçu. Il ne peut qu'être déçu et on ne l'ignore pas. Il n'est pas rare au demeurant que l'irréalisme soit dénoncé par les acteurs professionnels, sinon les élus de terrain. On ne les entend pas et on légifère. Il en va ainsi du permis de louer, mesure de bonne foi inspirée par le précédent gouvernement, obligeant les bailleurs à demander une autorisation de louer dans les zones où l'indécence et l'indignité d'une partie du parc locatif privé est un cancer. Les services municipaux de la plupart des communes concernées, en région capitale notamment, n'y suffisent pas. Impossible de vérifier a posteriori si un propriétaire loue sans s'être déclaré. On aurait pu au moins exonérer ceux qui confient la location de leur bien à un professionnel, astreint par ailleurs à la vigilance par sa réglementation. Un tiers au moins de l'offre locative eût ainsi été traitée d'emblée. Mais non. On préfère une mesure intégriste, dont on n'a pas les moyens simplement humains. Une autre comme celle-là? La moralisation des aides personnelles au logement, sujet de vive actualité depuis la décision de rogner de 5€ les APL de tous les bénéficiaires, avec l'exclusion du mécanisme des allocataires ayant plus de 30000€ de patrimoine, en épargne liquide par exemple. Vous savez quoi? Les Caisses d'allocation familiales, les CAF, sont incapables d'investiguer et de vérifier. Encore une mesure, généreuse certes, mais non applicable.
Il est grand temps que gouvernement et parlement se gardent de ces deux défauts. Moins de dispositions, mais des dispositions suivies d'effet et d'effet rapide. D'ailleurs, nos nouveaux députés et les nouveaux sénateurs que la proche élection fera entrer au Palais du Luxembourg devraient avoir davantage en tête qu'ils ont le pouvoir de contrôler l'application des lois d'une part, d'exiger des études d'impact -et de faisabilité- d'autre part. En clair, ils ont le pouvoir de ne pas légiférer en l'air. Pour le logement, comme pour les quelques autres grandes causes nationales, la France a besoin de plus d'efficacité. C'est en outre une forme d'honnêteté envers les Français que de rapprocher le travail politique de leurs préoccupations quotidiennes et de mettre sans arrière-pensée le premier au service des secondes.