IMMOBILIER: LE GOUVERNEMENT AVANCE SANS ÉCOUTER LES PROFESSIONNELS DU SECTEUR
APL, Pinel… l’exécutif s’apprête à réformer le secteur immobilier sans tenir compte de l’avis de ses représentants. Henry Buzy-Cazaux, président de l'Institut du Management des Services Immobiliers, s’en inquiète.
Ce qui se passe était imprévisible. C'est même incroyable quand on se rappelle l'image de modernité et d'ouverture que nous a donnée le candidat Macron, puis le Président de la République nouvellement élu. Qui aurait pensé que le dialogue entre l'État ainsi incarné et les lobbies serait aussi difficile? Si un secteur d'activité est en train de le réaliser et d'en faire les frais, c'est bien celui de l'immobilier. Pourquoi ce secteur-là? Parce qu'il est extrêmement administré, que la décision publique y a une importance capitale, et ce depuis toujours. Qu'on parle de considérations civiles, juridiques, qu'on parle de financement, qu'on parle de fiscalité, l'immobilier a bien peu de liberté et les familles professionnelles comme les associations de consommateurs y ont pris des habitudes d'influence, de combat quand il le faut. Enfin, dans ce secteur, la coproduction relative de la politique conditionne son acceptation par le corps social, entreprises immobilières et utilisateurs.
Au fil des gouvernements, des législatures, il s'est installé des pratiques de dialogue, de discussion, de jeux de go, de bras de fer, selon les périodes et selon les personnalités au pouvoir et des figures représentatives des intérêts privés face à elles. Il y a eu des moments plus compliqués que d'autres, et l'échange avec une Cécile Duflot n'a pas laissé le même souvenir qu'avec Emmanuelle Cosse par exemple. Pour les plus anciens, tenter d'infléchir un Paul Quilès exigeait d'autres méthodes que de convaincre Christine Boutin. Travailler avec Pierre Méhaignerie était simple, quand il fallait ferrailler avec Louis Besson. Question de tempérament et de culture, des femmes et des hommes. Peu importe les nuances, le dialogue était ouvert, dût-on savoir à quoi s'en tenir et admettre qu'on avait face à soi un opposant féroce.
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Aujourd'hui, rien de semblable. La mesure des 5€ affectant les APL a été prise sans sommation préalable. On entend d'ailleurs que le Président Macron aurait exprimé en privé son exaspération. Est-il imaginable qu'il n'ait pas été tenu au courant? Oui, si les auteurs avaient sous-estimé l'impact réel, l'impact symbolique et la portée politique... Pour 5€, on croit volontiers que le Premier ministre ne veuille pas déranger le Président. On pressent que le dispositif Pinel pourrait bien subir le même sort, et pourquoi pas le prêt à taux zéro? En tout cas, s'il est un lobby qui comprend que les temps ont changé, c'est bien celui des élus locaux, traditionnellement très écouté et hautement influent: parti de la volonté affichée d'exonérer de taxe d'habitation 80% des ménages et de compenser le manque à gagner auprès des communes, le gouvernement exige des collectivités qu'elles économisent sans contrepartie. La Conférence des territoires qui s'est tenue le 17 juillet a moins été un dialogue qu'une leçon ex cathedra de la part de l'exécutif. Quant à l'annulation de 400 millions de crédits d'investissement au profit des collectivités décidée intempestivement il y a cinq jours, elle achève de convaincre les élus qu'il va falloir qu'ils se mettent à la diète imposée.
Bref, l'exécutif semble faire le choix de tracer son chemin sans s'embarrasser de la consultation ni de la concertation. Le président de la FNAIM avait réclamé un Grenelle du logement. Au demeurant, alors qu'est annoncée une vaste réforme des aides et alors que le budget du logement va devoir contribuer à la résorption du déficit -la Défense, qui a un budget comparable, devra consentir un effort de 850 millions...-, Jean-François Buet avait raison de souhaiter qu'un large débat s'instaure. A ce jour, rien de semblable n'est sur le feu et le gouvernement concocte un projet de loi sur le logement et un projet de loi de finances dont les dispositions sont secrètes. Qui plus est, la période est favorable: après une entrée en fonction du ministre de la cohésion des territoires en juin, juillet et août sont arrivés et avec eux les vacances des responsables d'organisations professionnelles et d'associations... Il y a fort à parier qu'en septembre l'encre des textes ait déjà séché!
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Est-ce grave? D'abord, il faut balayer devant sa porte: les lobbies ont eu trop à souci de bloquer les évolutions. Ils auraient dû davantage anticiper et proposer, alors qu'ils ont beaucoup joué en défense. Quel ministre réformateur prendrait le risque de demander l'avis d'une fédération qui va de toute façon être hostile à la réduction d'une aide ou à la remise à plat d'un système? Les lobbies ont trop longtemps supplié pour obtenir plus d'argent, telle mesure de soutien, accréditant la thèse que le secteur ne pouvait pas vivre sans le secours de l'État. Quant à l'État, il a accrédité cette thèse, sachant que dans le même temps, il s'est copieusement servi du logement pour assurer son train de vie, en taxant et surtaxant l'immobilier sans discernement, ou encore en lui compliquant la vie au nom de la protection du consommateur.
La situation doit évoluer d'urgence. Les organisations professionnelles ont changé ces dernières années. Elles savent ce qui est audible et ce qui ne l'est pas. Elle sont politiquement correctes et ne s'expriment pas pour la plupart avec la préoccupation du clientélisme envers leurs adhérents. Elles ont appris à démontrer avec des arguments économiques et techniques et constituent bel et bien des aides à la décision publique. Alors oui, il y a des jeux de rôle, et on imagine mal la Fondation Abbé Pierre prôner la fin de l'APL, la FNAIM la suppression de la prise en compte du déficit foncier ou la FPI la mort du Pinel. Sauf que ces lobbies se montrent capables de plus d'intelligence et d'esprit de nuance. Dans ces conditions, tarder à les recevoir ou ne pas les écouter davantage, ne pas les associer plus spontanément à la décision, fût-ce par calcul, pour s'épargner des réactions publiques de rejet et des condamnations médiatisées, ne relève pas d'une méthode longtemps tenable... Si les lobbies sont en vacances, les vacances se termineront bientôt et avec elles la fenêtre de tir silencieux.
Neymar a éclipsé le sujet APL
Et puis il ne faut pas oublier que des décisions doivent être appliquées et que pour cela elles doivent être relativement comprises et acceptées. Les corps intermédiaires, c'est ainsi qu'on nomme les syndicats, sont là pour faire passer les messages.. et les pilules, et éviter des révolutions. Se priver de ces courroies de transmission revient à être en prise directe avec l'opinion et à devoir gérer des crises dures, parfois non maîtrisables, et qui ont de toute façon un prix politique.
Pour le cas où le pouvoir aurait effectivement choisi de se fermer aux organisations représentatives de l'immobilier, il faudra que les lobbies trouvent le moyen de renouveler leurs pratiques et de se réinventer. On ne parle que du transfert du prodige du football, Neymar, au PSG, et cette nouvelle a fini par occulter les sujets d'APL, de taxe d'habitation, d'investissement locatif, d'augmentation du Pass Navigo ou de l'énergie au 1er août. D'ailleurs, l'information du coût de son arrivée au club parisien ou de sa rémunération nous fait entrer dans une galaxie financière formidable, dans laquelle 5€ ne comptent pas, ni 500, ni même 500 000. Comment donc fait le fameux Neymar, qu'on protège des problèmes de fin de mois, quand l'équipe adverse fait obstruction? Thème de grand oral de Sciences Po dans le module "Influence publique et efficacité" - qui doit bien exister au catalogue de la rue Saint-Guillaume...-